Le Petit Monde de LINO

L'éruption de 1902

"La grande promenade recommandée aux voyageurs était le Mont Pelée, d'où la vue féerique embrassait toute l'île, et où un lac frais remplissait le volcan... En 79, à Pompéi aussi, le cratère éteint du Vésuve, entouré de plantations et de maisons de plaisance, ne laissait pas supposer la catastrophe"

(Note d'un voyageur. Le Pélerin 20 mai 1902)


Saint-Pierre à la veille de l'éruption

De l'ère du sucre à celle du rhum


Au début du XXème siècle, Saint-Pierre et ses 26000 habitants demeure le plus grand centre urbain de la Martinique. L'économie n'y est plus aussi florissante qu'autrefois. Les riches habitants de la ville, négociants ou propriétaires de plantation, ont du s'adapter aux profonds bouleversements consécutifs à l'abolition de l'esclavage en 1848, et à l'effondrement des cours du sucre au début des années 1880. En effet, l'interdiction de la très profitable traite des noirs rend soudain caduque les fondements mêmes de l'économie de plantation. Désormais obligées de payer leur main-d'œuvre, les habitations sucrières voient s'envoler leurs coûts de production et n'arrivent plus à soutenir la concurrence croissante du sucre de betterave sur le marché métropolitain. Résultat, beaucoup de planteurs font faillites et entraînent dans leur chute les maisons de commerce les plus fragiles. Mais cela n'empêche pas la majorité des grandes familles blanches créoles de Saint-Pierre de continuer à prospérer. Aidées par les riches indemnités qu'elles reçoivent en 1848 pour chaque esclave qu'elles possédaient, elles modernisent leurs exploitations et abandonnent la production de sucre pour se livrer presque exclusivement à celle du rhum. Un produit ayant l'avantage d'être rémunérateur et peu gourmand en main-d'œuvre. Des investissements considérables sont réalisés et des distilleries construites par dizaines, dont certaines en plein centre-ville. La reconversion est une réussite. En 1900, Saint-Pierre devient le premier exportateur de rhum au monde.

Une vie politique et sociale mouvementée


Si l'oligarchie békée a réussie à maintenir son pouvoir économique après l'abolition de l'esclavage, il n'en va pas de même au niveau politique. Depuis 1871, l'école laïque et surtout le droit de vote étendu à la population de couleur ont profondement modifié le paysage local. Des tensions de plus en plus marquées se font jour entre les nouveaux électeurs acquis à la République, et les békés nostalgiques de la période esclavagiste. L'atmosphère est d'autant plus lourde, que le parti républicain lui même s'entre-déchire au gré de querelles de personnes. Bientôt, la municipalité de Saint-Pierre devient un bateau ivre incapable de la moindre décision, où l'on ne siège que pour mieux s'enrichir frauduleusement.


Les derniers jours de Saint-Pierre

Le reveil du volcan


C'est dans ce climat déplorable encore renforcé par les luttes du premier tour des élections législatives, qu'intervient le reveil de la montagne Pelée. Depuis le début de l'année 1902, on note l'apparition de plus en plus fréquentes de fumerolles échappées du volcan, et en avril le mouvement s'accélère. Aux fumées et à l'odeur de souffre s'ajoute une activité sismique qui secoue tout le nord de l'île. Les cables télégraphiques sous-marins qui relient Saint-Pierre à la Dominique et à la Guadeloupe sont rompus. Au sommet du volcan, l'étang sec se remplit d'eau chaude et de boue, que l'éruption du 5 mai précipite dans la vallée de la rivière Blanche, engloutisant sur son passage 25 employés de l'usine Guérin, et provoquant un raz de marée dans la baie. Appeurés et incommodés par les nuages de cendres qui ensevellissent leurs communes, les habitants du nord de l'île abandonnent leurs maisons pour venir se réfugier en masse à Saint-Pierre.

Un danger sous-estimé et des élections toutes proches


Dans la ville, on s'organise. Les réfugiés sont accueillis par des pierrotins charitables ou par les curés qui leurs ouvrent les portes des églises. Une commission scientifique est mise sur pieds pour évaluer la gravité du danger. Malheureusement la volcanologie est encore à l'époque, une science embryonnaire ignorante des phénomènes de nuée ardente, et ce sont surtout des torrents de laves qui sont attendus et redoutés. Tout le monde s'accorde sur l'imminence d'une éruption majeure, mais la majorité de la population, renforçèe dans cette idée par les déclarations rassurantes des autorités, espère que la ville de Saint-Pierre sera épargnée et décide de rester sur place. Il semble en effet improbable que la lave réussisse à atteindre la ville. Relativement loin du cratére, les six kilomètres qui la séparent du volcan sont parcourus par de profondes vallées dont on pense qu'elles canaliseront comme par le passé les épanchements volcaniques. En conséquence, seules quelques centaines d'habitants prennent la route de Fort-de-France. D'autant que la bourgeoisie locale rechigne à laisser ses maisons et ses richesses à la portée d'éventuels pillards.


8 mai 1902, récit d'une catastrophe

Du 5 au 7 mai l'activité volcanique s'intensifie et la population prend peur
Le 6 mai les nuages se font plus denses. Une épaisse couche de cendre recouvre la ville et s'insinue dans les habitations. Dans les rues, c'est le silence, la cendre étouffe le bruit des pas sur les pavés. Au loin, les grondements du volcan deviennent assourdissants. Des coulées de boue continuent à dévaler sporadiquement les pentes du Mont-Pelé, tandis que les premières nuées ardentes sont observées du côté du bourg du Prêcheur au nord de Saint-Pierre. La population de la ville déjà inquiette depuis les évènements du 5 mai et la destruction de l'usine Guérin est gagnée par l'affolement. Le 7 mai dans l'après-midi, le maire téléphone au Gouverneur pour lui demander l'envoi d'un détachement destiné à maintenir l'ordre. Heureusement, sa demande n'est pas écoutée. A quatre heures, c'est le Gouverneur lui-même accompagné de sa femme et de quelques hauts fonctionnaires, qui rentre dans Saint-Pierre pour rassurer la population. Le communiqué rassurant publié par la commission scientifique le soir du 7 mai l'aide en ce sens. (Voir le communiqué) Les journaux sont de la parti. A la veille du drame, l'Opinion n'hésite pas à titrer : "Prêchotins, mes amis, dormez tranquilles!" La tension retombe un peu, mais n'empêche pas de nombreux fidèles de s'assembler dans les églises pour prier toute la nuit.

Le 8 mai à 7H50 du matin, Saint-Pierre et le Prêcheur sont rayés de la carte
Le 8 mai, c'est la catastrophe. Le bouchon de lave qui obstrue le cratère a résisté à la pression des gaz qui font alors éclater la partie la plus fragile du Mont Pelée. Des nuages de gaz chargés de cendres et de souffres, chauffés à 1000°, dévalent sur la ville à plus de 200 km/h. Un peu avant 8 heures du matin, la nuée ardente frappe Saint-Pierre. La pression des gaz, projetés à haute vitesse, renverse tout sur son passage. En quelques secondes toute trace de vie disparaît. Maisons et monuments sont soufflés. De solides murs de pierre, larges d'un métre, s'effondrent. 30 000 personnes meurent instantanément, démantibulées, asphixiées sur place par la violence du choc. La chaleur provoque l'explosion de milliers de barriques de rhum entassées dans les multiples entrepôts et usines de la ville. Les explosions se succèdent, encore longtemps après le passage de la nuée. Des flots de liquide enflammé s'écoulent dans les rues, achevant de calciner les corps. L'onde de choc atteint la mer. Un raz de marée de 3 métres s'abat sur les navires au mouillage, en même temps que le nuage de gaz. Chavirés ou incendiés, une vingtaine de bateaux coulent. La ville et les allentours sont rasés. De petits morceaux de roche arrachés au volcan sont projetés jusqu'à Fort-de-France. Un linceul de cendres chaudes recouvre toute l'île de la Martinique. Le "Petit Paris des Antilles" a cessé d'exister.
 

                         

Un seul survivant : Cyparis

Purgeant une peine d'un mois en prison, Cylparis échappa à l'éruption grace à l'épaisseur des mûrs et la forme de son cachot. Il n'échappa cependant pas à de multiples brulures.

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27/12/2006
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